mercredi 15 mai 2013

Lettre de madame Fra aux Amapiens pour expliquer l'arrêt de son élevage ovin


Bonjour,
Un petit mot aux Amapiens.
Mme Léhon a dû vous informer de l’arrêt de notre atelier ovin, et je souhaite vous en expliquer les raisons.
 L’éleveur est un dur métier. Pas de vacances ou très peu, pas de dimanche, même lorsque vous avez la grippe avec 40° de fièvre il faut nourrir le troupeau, le jour où vous baptisez vos enfants il faut nourrir  avant de partir à l’église, ou lorsque vous enterrez un proche il faut tout de même s’occuper des bêtes.
Le métier d’éleveur est fait par des passionnés. Lorsque l’on élève des bêtes, un bon éleveur, aime ses bêtes. Bon nombre des miennes avaient un prénom, je les appelais elles reconnaissaient ma voix. Bref j’aimais mes brebis comme on peut aimer un animal domestique.
Les réglementations (européennes pour la plupart) nous ont donné encore plus de travail, des papiers à remplir, encore des papiers et toujours des papiers, en plus du travail quotidien. Encore des contraintes (non rémunérées !) ce qui rajoute de la pénibilité à ce métier si prenant.
Au mois de juillet/août en Provence il fait chaud et le troupeau mange de 19h à 23/24 h, puis de 4h à 7 h le matin. A cette époque de l’année nous sommes en pleine récolte de lavande, et garder la nuit (avec une frontale comme on me l’a suggéré) et récolter de jour est impossible. Aussi nous avons investi dans des parcs grillagés, qui entourent des bois et des pelouses calcaires. Il est facile d’aller voir les brebis qui chaument aux fortes chaleurs pour voir si tout va bien.
Le 7 août au matin j’étais à la distillerie lorsque mon mari m’a appelée pour me dire que mes brebis étaient rentrées en bergerie. Chose anormale puisqu’elles étaient enfermées dans le parc. Il les a alors cherché et là l’horreur s’est affichée en plein jour.
Sur le chemin qui descendait au parc, tous les 100 m à peu prés, une brebis égorgée, intacte, seuls 4 crocs très visibles sur la gorge, il en a compté 4. Dans la direction opposée à la bergerie, sur la suite du chemin après le parc, 4 autres sur 1 km de distance. Sur les 8, seule une épaule a été consommée.
Il nous a fallu 3 jours à 9 personnes pour rassembler la totalité du troupeau. 5 n’ont jamais été retrouvées.
Il a fallu que je tienne dans mes bras 8 autres brebis pendant que le vétérinaire les euthanasiait, toutes avec des traces de crocs dans la gorge. J’aurais aimé que les « pro-loup » soient là pour les tenir et qu’elles vous regardent bien dans les yeux et que les leurs s’éteignent.
Lorsque vous aimez vos bêtes, c’est terrible.
Il y a eu enquête, bien sûr, mais lorsque vous voyez la façon dont elles ont été tuées, vous savez que c’est le loup : l’enquête faite par 5 personnes( !) a confirmé l’attaque par le loup.
Pendant 15 jours elles ont refusé de sortir de la bergerie.
Les autres années l’agnelage de septembre se passait à l’extérieur, sur des prairies autour de la maison, où elles n’étaient pas parquées, en liberté. Là pas question, l’agnelage s’est fait en bergerie ce qui multiplie le travail par 4.
Bien sûr j’ai été indemnisé, 3500€. L’euthanasie des bêtes, non, les 3 jours de recherche, non, sans compter le stress et le travail supplémentaire.
Mon voisin également éleveur a été attaqué 10 jours plus tard, 9 brebis mortes, aucune consommée.
Le 4 septembre c’est grâce à sa voisine que le loup n’a tué qu’une brebis.
Il a dû dormir jusqu’au mois de novembre dans une caravane au milieu de son parc de brebis., nous habitons à 1100 m d’altitude et au mois de novembre, sans chauffage…
Travailler oui, mais pas comme çà !
J’ai vendu mon troupeau, mon voisin ne va pas tarder à faire de même, et bientôt il n’y aura plus d’éleveur. Les montagnes et collines ne seront plus pâturées, les pistes de skis ne seront plus tondues, les feux de forêt pourront ravager la Provence.
Il y a 15/20 ans nous donnions l’alerte aux autorités sur la prolifération des sangliers, on nous riait au nez. Et maintenant ? Les villes et villages sont envahis. Le sanglier dans certains départements est même classé nuisible !
Le loup n’a aucun prédateur, même pas les chasseurs.
Qu’adviendra-il dans 15 ou 20 ans pour le loup ? Une louve porte 4 à 6 petits par an. Tout comme le sanglier il envahira les villes et villages car les ordures urbaines sont aussi intéressantes pour eux que pour les sangliers. Alors peut-être que nous, les anciens éleveurs, on pourra remettre des brebis car les loups auront déserté nos campagnes…
Merci aux pro-loup, et à la directive habitat de l’Europe de m’avoir permis de prendre pour la première fois en 20 ans d’élevage 15 jours de vacances en novembre, de n’avoir plus à subir la pluie lors des jours de garde, ou d’être piquée par le mistral.
C’est la colère qui s’installe peu à peu. Le devenir de tous les élevages français semble de plus en plus compromis.
Un collaborateur d’un ministre de l’agriculture en 1994 avait dit à mon mari que l’Europe destinait la France au bronzage, et que nous mangerions de la viande Polonaise, Roumaine et Hongroise. Les légumes, ce serait l’Italie et l’Espagne….. Dure réalité, et que nous fera-t-on manger ? Du chat pour du lapin ? Des légumes sulfatés avec des produits hautement cancérigènes interdits en France depuis 10 ans ? La mort de l’agriculture Française est programmée depuis longtemps.
L’Europe s’en prend même à l’huile essentielle de lavande !
Elle a classé ce produit naturel en produit chimique. Les producteurs mènent le combat, on aura certainement besoin de tous les Provençaux et même de tous les utilisateurs d’huile essentielle, pour combattre cette hérésie. Si l’application de la directive REACH devient effective, sur tous les produits contenant 0.05 % d’huile essentielle on devra apposer des étiquettes avec le poisson mort, les poumons qui explosent, et la croix de St André . Qui va acheter nos produits après çà ? Sans compter les dossiers à remplir pour distiller les plantes. Bref de beaux combats en perspective, la Provence sans lavande se ne sera plus la Provence. Vive l’Europe !
J’ai été bavarde, mais je ne sais pas si j’ai su vous expliquer ce que l’on ressent dans des moments pareils, je l’espère.cordialement Christine Fra